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Avis de la Société Française de Physique sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE)

mercredi 23 décembre 2020, par Centrale Énergies

Alors que la prise de conscience d’une nécessité d’agir face à la menace des conséquences du réchauffement climatique croît dans l’opinion publique et conduit la commission européenne et des responsables politiques en Europe et en France à surenchérir dans les ambitions des stratégies bas carbone, en affichant notamment un objectif de neutralité carbone pour 2050, cette révision de la PPE ne propose aucune rupture par rapport à la précédente et persiste à vouloir poursuivre la mise en œuvre de la Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 (LTECV) sans aucune remise en question de ses incohérences eu égard à cet objectif.

En effet, si la priorité absolue doit être donnée aux mesures destinées à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES), pourquoi consacrer l’essentiel du financement public à la modification du seul mix électrique... qui est déjà à 90% décarboné !,en amplifiant le déploiement des énergies renouvelables électrogènes,(solaire photovoltaïque et éolien),en vue d’espérer compenser la réduction à 50% de la part du nucléaire dans ce mix ?

Est-ce raisonnable et cela va-t-il nous mettre sur la bonne trajectoire pour atteindre l’objectif de neutralité carbone ? N’oublions pas qu’en France les combustibles fossiles (Gaz naturel et produits pétroliers) comptent pour plus de 65% dans l’énergie finale, et qu’ils couvrent à plus de 90% les besoins dans les transports, très majoritairement dans la production de chaleur pour le résidentiel/tertiaire et l’industrie. Alors compter en premier lieu sur une baisse globale de la consommation d’énergie finale pour réduire en même temps la consommation de ressources fossiles (cf ; synthèse page 6) n’est certainement pas le moyen le plus efficace pour réduire les émissions de CO2, d’autant que la diminution observée durant les dernières années (1,4% par an) est plus probablement due au transfert vers des pays comme la Chine des dépenses énergétiques associées à la production de biens manufacturés. Il vaudrait bien mieux financer des mesures permettant directement de réduire l’usage des ressources fossiles émettrices de GES.

La partie 3.4 du document de synthèse consacrée au mix électrique donne l’impression que l’on veut encore croire à la pertinence du choix (inscrit dans la LTECV) de réduction de la part du nucléaire et de développement du solaire photovoltaïque et de l’éolien, et de la compatibilité de ce choix avec l’objectif de neutralité carbone en 2050.En fait une éventuelle décision de remise en cause de ce choix est courageusement reportée à plus tard. Les arguments avancés pour justifier ce report de décision montrent qu’il n’a été tenu aucun compte ni des mises en garde, (notamment de la Cour des Comptes), ni des travaux d’instances indépendantes ou contributions des académies des sciences et des technologies et de sociétés savantes(Société Française de Physique et Société Chimique de France) au débat public sur la PPE sous la formes de cahiers d’acteurs. En effet le principal argument avancé est celui de la forte baisse (de fait avérée) des coûts de production des énergies renouvelables électriques... obtenue grâce en particulier à la politique de l’Union européenne ! Comme si ce coût suffisait seul à garantir la compétitivité de ces sources. On mesure là combien les utopies à la Jeremy Rifkin (the green new deal), y compris celle du 100% renouvelable,ont pu trouver un accueil favorable dans les milieux politiques.

C’est oublier totalement les besoins en ressources minérales induits par ces sources à faible intensité énergétique, (ce qui en passant conduit à douter sérieusement de l’affirmation sur la réduction de notre dépendance aux importations), mais surtout cela démontre combien les conséquences de l’intermittence des énergies renouvelables électrogènes sont encore sous-estimées ! Si le problème du stockage est toutefois évoqué dans le document, c’est seulement pour indiquer qu’il ne se posera pas à court terme, avec la mise en avant des bénéfices (illusoires) attendus du foisonnement, c’est-à-dire des échanges avec les pays voisins grâce aux interconnexions européennes.Or des évaluations fiables tablent sur un besoin en stockage de l’ordre de 15 TWh pour 35% de renouvelables dans le mix, ce qui est deux ordres de grandeur au-dessus des capacités françaises actuelles en stockage inter-saisonnier !

Le paragraphe du document de synthèse (cf. page 16) consacré à l’autoconsommation et à la production locale d’énergie, avec le développement massif du solaire photovoltaïque est assez surréaliste. Là-aussi,les besoins en stockage absolument nécessaires pour une véritable autoconsommation sont totalement sous-estimés. Si l’auto-consommateur doit rester connecté au réseau, la conséquence sera encore une génération de surplus,que même un réseau intelligent ne saura pas gérer, et dont l’impact négatif sur le marché de l’électricité ne doit surtout pas être sous-estimé.

L’argument avancé pour justifier la réduction de la part du nucléaire est pour le moins surprenant. La véritable raison, mais relevant du non-dit, est sans doute de donner satisfaction à ceux qui jugent le nucléaire trop dangereux. Mais dans ce cas s’arrêter à 50% est à cet égard sans intérêt, il faut, comme sont en train de le faire les allemands,totalement sortir du nucléaire, avec le résultat garanti qu’il faudra alors mettre en service des centrales thermiques au gaz ou au charbon pour assurer l’approvisionnement en énergie électrique. Il est vraiment difficile de comprendre pourquoi les leçons de l’exemple allemand, maintenant parfaitement documenté et avec un recul suffisant, ne sont pas tirées. Comme l’a dit Confucius : « L’homme sage apprend de ses erreurs, l’homme plus sage encore apprend des erreurs des autres », mais malheureusement les œillères idéologiques empêchent de voir que le déploiement massif des EnRs électrogènes ne nous permettra pas de sortir à la fois des ressources fossiles et du nucléaire. Le report de décision sur l’avenir du nucléaire et la maigreur du programme de R&D pour ce dernier, sont l’illustration d’un refus de trancher dans un débat dominé par des positions dogmatiques.

Bien sûr, le projet de PPE reconnaît à juste titre la nécessité essentielle de réduire la consommation d’énergie, actuellement principalement basée sur les ressources fossiles, dans le résidentiel et le tertiaire, et les mobilités, mais comment le faire à un rythme suffisant si l’essentiel des financements publics est fléché vers le solaire photovoltaïque et l’éolien ? A cet égard la fig. 5 du document est éloquente, qui montre clairement que de durant la décennie 2018 à 2028 de 5 à 7 milliards d’euros d’argent public seront consacrés annuellement au financement de l’éolien et du solaire photovoltaïque. Un point surprenant de ce projet de PPE est en outre l’hypothèse d’une consommation d’électricité quasiment constante, en dépit des nécessaires transferts vers des solutions électriques consécutifs à la réduction de l’utilisation de ressources fossiles, en particulier dans les transports.

L’objectif de la PPE est de doubler la capacité installée des EnRs électriques (solaire PV et éolien) en 2028 par rapport à 2017,avec une centaine de GW de puissance installée et une production annuelle d’une centaine de TWh, mais sans même être sûr que cette énergie pourra bien être consommée.La conséquence, systématiquement observée dans les pays européens où la part des renouvelables électrogènes a été notablement augmentée, sera sans doute une augmentation du coût de l’électricité pour les particuliers, en dépit de la forte affirmation énoncée dans le préambule du document de synthèse que l’évolution entraînée par cette PPE se fera en garantissant le niveau de sécurité d’approvisionnement et à un coût maîtrisé.

En France où l’électricité est déjà décarbonée à 90%, la véritable priorité, si l’on vise vraiment l’objectif de la neutralité carbone en 2050, devrait être la décarbonatation dans les transports et le résidentiel/tertiaire. Cette révision de la PPE, qui se refuse encore à reconnaître et remettre en cause l’incohérence des objectifs de la lois LTECV de 2015 et persiste à flécher l’essentiel des investissements publics vers le solaire photovoltaïque et l’éolien,est une occasion manquée de se placer sur la bonne trajectoire.

Texte déposé par Gérard Bonhomme, (Président de la Commission Energie & Environnement de la SFP), le 19 février sur le site : http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/consultation-du-public-sur-le-projet-revise-de-a2127.html?id_rubrique=4

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